Fragment trouvé dans l’archipel Iris
collage pour Roger Dérieux

La couleur est l’organisation de la lumière.
Honoré de Balzac

La lumière, ce « subtil de la couleur » comme l’enseigne une tradition orientale, est aussi un bon conducteur de Temps. Elle rapproche l’espace comme l’eau le bruit et s’adresse au regard en années si lointaines qu’on ne se représente le plus souvent celles-ci que par l’éclat d’un astre mort. Sans doute offre-t-elle encore par là une mesure moins incertaine à ceux qui cherchent le lieu et la formule. Question d’échelle.

La rosée imprime à la plante, et particulièrement à la fleur, ce transparent qui fait briller les lèvres dans leur fraîcheur. Ainsi la couleur emprunte-t-elle au météore sa carnation : sang de corail, moitié de grenade dans l’or des soirs du Sud où le grillon indissocié de la chaleur porte les distances.

Écharpe d’Iris : eau et lumière. Ce double courant, des maîtres anciens ne l’ont pas sans raison allié, de vapeur en nuage, dans le profil et l’écho d’une montagne. Où l’homme souvent se tait, la pierre plus fidèle lui répond, renvoie du moins au solitaire le sortilège de sa voix. La seule qui dise en lui la vérité silencieuse de l’image.

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Au commencement il y eut ces pièces d’artifice qui firent trois étés à Cannes l’enchantement de l’enfant que j’étais, et dont le souvenir, par une de ces mystérieuses associations de la mémoire, devait ressusciter plus tard à la vue d’une estampe nocturne d’Hiroshige. Puis la rumeur confuse de la Promenade monta du large, lestant la densité sans épaisseur pour restituer jusqu’au claquement sec, à deux temps, des fanions du bord de mer et découper par plans insensiblement stratifiés cette houle continuée en terrasses de plein vent sur les hauteurs du Vivarais. Alors apparurent ces maisons, ces « feux » dans les lointains, ces villes.

Au commencement il y eut ces froissements, ce grain à quoi seul se comparerait peut-être celui d’une voix et qui donne à la palette qui l’a formé son âme. Il y eut ensuite le timbre des prismes, la vibration de ces mouvements désassemblés dont on ignore pourquoi la colle, inapparente sauf repentir, en désignerait mieux l’essence, l’essor, que des expressions telles que : aigrette vaporisée, pigment langué-de-feu, fusées pour le bouquet.
Et toujours cet aplomb, ce « Point central », libration intime de la vitesse.

Je n’ai évoqué que quelques aspects de l’œuvre et de l’art délicat de Roger Dérieux. Mais le moyen de faire autrement ? Du moins aurai-je marqué, je l’espère, le lien qui à travers les mues successives a conduit ce maître des couleurs au seuil des noces de lumière.

Max de Carvalho

Texte paru dans le catalogue d’exposition du musée du Vivarois César Filhol d’Annonay, 2001